ID: 16403
De Graaf
Niveau 7
Bretteur
En ce 18 mai de l’an de grâce 1683, De Graaf marchait solitairement sur le sable et s’assit sur une dune. Derrière lui, Vera Cruz était en flammes...
Le matin même, 1 200 flibustiers au service de la France, commandés par les plus grands noms du temps – Grammont, Van Hoorn et De Graaf - s’étaient emparés de la perle de la Nouvelle-Espagne. Le butin était considérable : 800 pièces de huit pour chaque homme, de quoi finir ses jours paisiblement à la Tortue ou à Saint-Domingue. Devenir planteur. Etait-ce là le but de toute une vie ? Le monde changeait, les Etats voulaient réguler la flibuste voire la supprimer. Ces hommes ne pouvaient pas encore le savoir mais ils avaient été les acteurs de la dernière grande entreprise de flibuste dans les Antilles. Certains, déjà, refusant de devenir colon, montraient des penchants pour la piraterie. « Pirate ? Voilà donc l’alternative ? » pensa tristement De Graaf. Doué d’un esprit agile et perspicace, mais également romantique, le corsaire refusa inconsciemment de penser au futur et au choix qu’il devait faire pour se raccrocher aux heures de gloire du passé. De son passé.
Que n’avait-il vécu ? Pas plus tard qu’il y a une heure, il avait même tué son compère Van Hoorn en duel pour une question d’honneur. Il pouvait dire, comme Napoléon le fera 130 plus tard, « Quel roman que ma vie ! » Né en Hollande, un temps au service de l’Armada espagnole de Barlovento, il fut capturé par des flibustiers et... devint un des leurs !
Il se rappela avec attendrissement ses débuts quand, avec une petite barque, il captura un petit navire, avec lequel il en prit un plus gros, jusqu'à commander un navire de guerre armé de 28 canons. L’ascenseur social fonctionnait mieux aux Antilles qu’en Europe, pensa-t-il avec malice. Puis il s'empara du navire apportant la paie annuelle des garnisons de Porto-Rico et Saint-Domingue, il attaqua Carthagène, incendia Campêche, fit le blocus de la Jamaïque... Il ne put s’empêcher un rire sardonique à cette dernière pensée. Cette vieille buse de Morgan, devenu gouverneur de l’île et par là-même traître à la confrérie des Frères de la Côte, avait prévenu tous les navires anglais disponibles du danger qu’il représentait. Décidément, seuls les Français savaient s’y entendre en matière de flibuste.
La France... Après le retrait de la Hollande, il était passé, comme bon nombre de ses compatriotes, au service de Louis XIV et de ses gouverneurs. Il n’avait pas eu à le regretter. D’ailleurs, son procès de naturalisation était en cours. Hollandais il était né, Français il allait mourir ! Mais ne l’était-il pas déjà dans sa façon d’être ? Sa courtoisie et son raffinement étaient proverbiaux . Accompagnant tous ses repas par un orchestre, il ne dédaignait pas, à l’occasion, jouer du violon pour divertir son équipage. Sa célébrité était si grande dans les Caraïbes qu'à chaque endroit où il passait, les gens s'attroupaient, venant voir de leurs propres yeux cette légende vivante.
Il en était là de ses pensées quand il se souvint de ce que lui avait dit un prisonnier espagnol ou anglais, il ne se rappelait plus très bien. Il y avait encore dans les Antilles une île où l’aventure le disputait au courage. Laissant derrière lui les flammes de Vera Cruz, ses hommes et sa part de butin, il prit son épée, sa longue-vue, et commença à marcher sur la plage en direction du Sud.
Décidément, la vie réservait encore des surprises...