L'orage et ses surprises

Kristal n'avait pas eu le temps de répondre à Cémente que la conversation partait en cacahuète entre cette dernière et Luun.

Bien qu'elle ne savait pas de quoi ils avaient parlé avant son arrivée, Kristal comprit en tant que femme, que Clémente avait été touché par les propos de Luun. Celui ci, ne voulait surement pas la critiquer, c'était juste un peu maladroit de sa part, pas bien grave. Mais apparemment la jeune femme partait au quart de tour, ce qui n'était pas pour arranger la situation.

Elle s'avança vers Clémente et posa sa main sur son épaule

Voyons, voyons, calmez vous, Luun vous considère comme son invitée, il n'y a pas lieu de vous sentir mal ici, restez et parlons tranquillement. Comment s'appelle votre enfant ? il a quel âge ?

Prise dans la joute avec Luun, Clémente affrontait son regard, comme si être la première à baisser ou cligner les yeux avouerait une défaite. Quel goujat. Avoir le toupet de la provoquer et ensuite la faire passer pour hystérique ! Elle s'apprêtait à lui répondre dans la surenchère, quand Kristal posa une main sur son épaule. Elle se crispa légèrement, mais continuait de s'opposer au loup.

La dame du Lys, cherchant à apaiser Clémente parvint à la déstabiliser. La doute traversa les yeux de Clémente, et sa posture se faisait soudain moins dure. Elle oublia Luun, regarda Krystal, hésitante. La trêve fut pourtant de courte durée, et elle ne tarda pas à faire un nouveau soupir agacé pour le juge.

Maxence n'a que cinq ans, vous comprendrez qu'il ne peut rester longtemps loin de moi.

Kristal sentit que Clémente se détendit, du moins l'espace d'un court...trop court instant.
Son fils...elle avait donc la chance d'être maman. Quelle bonheur ... pourtant elle avait l'air si tourmentée. Il fallait qu'elle trouve un moyen de la retenir,

Maxence est un très joli prénom, il a les même yeux magnifiques que vous ?
Vous inquietez pas, il doit être en train de jouer avec son père et ne se sera même pas aperçu de votre absence. Vous voulez lui apportez un peu de cette délicieuse soupe au potiron spécialitée de Marc ? Je vous l'offre avec plaisir.

Kristal farfouilla dans sa besace et en sort un magnifique petit lapin en chocolat.

Tenez, vous lui donnerez ça également. Les enfants sont de délicieux petits gourmands, il devrait adoré.

L'orgueil parental fut plus fort que sa colère contre luun. Krystal avait su trouver comment occuper Clémente et l'éloigner de la querelle. Ce fut donc avec un grand sourire fier qu'elle se détourna du loup pour répondre à Krystal :

Il ressemble plutôt à son père, mais il est vrai qu'il a mes yeux, et j'avoue ne pas en être mécontente.

Elle baisse la voix, comme si ce qu'elle allait dire pouvait être entendu par l'enfant absent :

Son père est parti il y a déjà longtemps, et chaque jour qui avance lui fait poser de plus en plus de questions. J'essaye de le préserver de la vérité, il est encore si jeune.

Puis, secouant la tête, elle repoussa doucement le lapin en chocolat :

Pourquoi ne lui offririez vous pas vous même le jour où je vous le présenterai ?

Ce sera avec grand plaisir Clémente, je vais le confier à Marc en attendant. Je pense qu'il n'y aura pas d'inconvénient à ce qu'il vienne ici. Certains loups sont restés de grands enfants et se feront un plaisir de jouer avec lui, ça leur rappellera leur enfance et j'ai hâte de les voir à l'œuvre.

En ce qui concerne son père, vous m'en voyez désolée pour vous, ce n'est jamais évident pour un enfant de vivre sans une présence masculine. Mais vous êtes belle, jeune et toute la vie devant vous, bon nombre de prétendant doivent déjà se bousculer à vos portes non ? Il suffira juste de choisir le bon. Certes de nos jours, ce n'est pas évident, mais gardez confiance, ce jour arrivera vite.

Tout en s'adressant à Clémente, Kristal vit le regard de Luun perdu dans ses pensées, un regard triste comme elle ne supportait pas de voir chez lui. Quand il lui arrivait d'être présente dans ces moments là, elle n'avait qu'une envie, de le prendre dans ses bras et de le consoler, lentement, longuement, comme une mère avec son enfant. Mais il s'y refusait à chaque fois, préférant rester seul avec sa douleur.

Devant la bienveillance de krystal, le regard de Clémente se voilait parfois d'incertitude, mais laissait à chaque fois la place à l'assurance étonnante qu'elle affichait depuis quelques minutes. Elle souriait à la lyssoise, ravie d'avoir fait une rencontre aussi charmante :

La beauté ne fait pas tout ma chère, hélas. Dans un monde comme le notre, je ne laisserai pas n'importe quel homme s'approcher de moi, et de mon fils. Ce sera un plaisir que de vous présenter mon petit ange, la prochaine fois que je viendrais ici peut-être.

Elle jeta un regard méfiant à Luun :

Je resterais volontiers discuter avec vous Krystal, mais mon ange est aussi un petit chenapan. Et je ne voudrais pas qu'il profite de mon absence prolongée pour partir gambader tout seul.

Luun était loin, plongé dans son passé, revivant de bien sombres souvenirs. Mais il en était presque détaché, comme regardant défiler la vie d'un autre. Aujourd'hui il était surtout blessé par l'état de Clémente. Il était ainsi. Il pouvait encaisser sans broncher nombre d'affres, mais il ne supportait guère que ceux à qui il trouvait de l'intérêt pussent être tristes.

Je vous accompagne.

Son ton était net, direct, un peu abrupt mais sans violence aucune. Il ne demandait pas véritablement, il énonçait un fait. Il allait lui aussi sortir, et au moins un temps, il accompagnerait Clémente. Il semblait bien impossible de faire appel pour qu'il change sa décision. Ses yeux de nouveau étaient portés sur Clémente alors qu'il venait d'aller récupérer sa cape sur la patère non loin. Il était calme, et sûr de lui.

Clémente resta interdite quelques instants à la proposition de Luun. Ou plutôt son ordre. Il ne parlait pas beaucoup, si ce n'est pour la critiquer, et nul doute que le trajet serait des plus moroses. Elle étouffa un nouveau soupir agacé, et fit ses adieux aux autres loups, ainsi qu'à la charmante Krystal :

Messieurs, Dames, ce fut un plaisir. Je ne manquerais pas de venir vous rendre de prochaines visites.

Clémente était sincère, son sourire pouvait en attester, et son visage ne redevint de marbre que lorsqu'elle se tourna vers Luun :

Et bien, allons-y !

Sur ce, elle rajusta sa cape, protégeant ses cheveux et la moitié du visage, et prit la direction de la sortie.

Luun avança et ouvrit la porte à Clémente. Le vent soufflait plus fort qu'un taureau enragé et il faisait entrer l'eau par vague dans l'antre. Aussitôt furent-ils sortis que lui et celle qu'il accompagnait se trouvèrent rincés malgré leurs habits. Il prit gentiment Clémente par le coude et silencieusement lui montra qu'il voulait la guider. En peu de temps il réussit à les amener sous une protection sommaire, formée d'un appentis de magasin et d'un palmier sur l'un de ses côtés, dont les larges feuilles bloquaient une partie de la pluie. Là, le souffle du vent était amoindri et il en allait de même pour le bruit jusque là assourdissant des trombes d'eau tombant des cieux déchirés. Le Loup put donc se retourner vers Clémente et prendre la parole.

Il dut s'y reprendre à plusieurs fois, ne trouvant les mots, gardant sa main sur le bras de Clémente, dans un geste doux et protecteur.

Je.. En fait... non.. Je suis... Pardon. Pardon pour tout ce que j'ai pu dire ou sous entendre. Je ne voulais pas vous blesser je... juste je vous ai vue, tant de fois, j'ai perçu vos regards, entendu vos soupirs, senti vos souffrances. Je... je sais que, enfin je crois que vous n'allez pas aimer cela car,et bien, vous pensiez pouvoir le garder pour vous mais.. Je le sais, je le sais et ça me mine de vous voir ainsi souffrir. Seule. Seule avec vous-même. J'aimerais... je souhaite juste être là, vous offrir un bras, une épaule, une oreille, une aide. Tout simplement. Je... je sais ce qu'est la perte d'un...

Le Loup avait parlé d'une traite finalement, mais il buta sur ce dernier mot. Il avait parlé les yeux baissés, regardant les mains de Clémente, les siennes. Il se sentait gêné mais il se sentait aussi devoir lui parler, mettre les choses au clair... et s'excuser.

Trempée immédiatement, Clémente ne s'était pas attendu à ce que le vent puisse souffler aussi fort. L'aide de Luun ne fut pas inutile, bien au contraire, la pluie était si abondante qu'il était difficile de voir où on mettait les pieds. Sagement, elle se laissait conduire. Arrivée sous l'abri de fortune, elle du se rapprocher du loup pour entendre ce qu'il disait.

Ruisselante, les yeux écarquillés reflétant sa surprise, elle observa sa main encore sur son bras :

Je... Je ne suis pas si seule que vous le pensez. Mon époux est mort depuis longtemps, je me suis faite à l'idée. Et l'éducation de mon fils rempli ma vie d'amour et d'affection.

Elle avait du hausser le ton pour qu'il puisse l'entendre, mais elle lui parlait avec chaleur cette fois-ci, sans aucune animosité. Les excuses avaient fait mouche.

Clémente se laissait bercer par Luun, sans que rien d'autre ne compte. Plus aucune réflexion n'arrivait à son esprit, rien d'autres que les sensations n'existaient. La chaleur de ses mains, de son souffle, sur sa peau. L'orage qui les enveloppait. Sa voix qui caressait son oreille. Les yeux fermés, elle se retrouvait ailleurs, propulsée dans un nouveau monde, qui n'était autre que l'oubli.

De longues minutes plus tard, elle se mit à trembler de froid. La nature avait reprit ses droits, et la pluie qui s'insinuait eut raison de cet instant de grâce. Clémente ouvrit les yeux, cligna des paupières plusieurs fois, et...paniqua. Presque affolée, elle se dégagea de l'étreinte de Luun, regarda tout autour d'elle, puis Luun, chancela...

Luun... ?

Sa voix avouait surprise et désarroi. Ses lèvres tremblaient, et elle semblait réfléchir à vive allure.

Il ne faut pas rester sous la pluie, voyons... !

Le Loup sursauta quand Clémente se dégagea et parla. N'était-il donc pas fou? Rester ainsi sous la pluie! Il tourna la tête rapidement, se remémorant où ils étaient. La pluie battait encore plus fort qu'avant, et le vent n'était pas en reste. Il prit Clémente par la main, un bras dans son dos, et l'aida à avancer, dos plié pour ne pas se laisser emporter. Tant bien que mal il réussit à atteindre un bâtiment et, ouvrant la porte en forçant de toute ses forces, après un dernier effort il réussit à faire rentrer à l'abri Clémente, se faufilant avec elle avant de refermer le battant.

-Mes aïeux! Des clients, avec cette tempête! Mais regardez vous, vous êtes trempés!

Sophie Marleau ouvrait de grands yeux ébahis sur Luun et sa compagne. Elle eut d'ailleurs du mal à le reconnaître, une fois qu'elle réussit à arrêter de se plaindre de l'eau envahissant son beau tapis.

-Oh mais c'est vous Messire! Quel plaisir de vous revoir ce...
-Oui oui je sais. Cela fait longtemps en effet. Nous discuterons plus tard Sophie, faîtes préparer une chambre je vous prie, avec un feu bien lancé et une baignoire d'eau chaude. Ainsi que des changes pour cette dame et moi-même. Sinon on pourrait bien chopper la mort avant la fin de la nuit!
-Oh, oui bien entendu.

Sophie se mit à courir de ses petites foulées, ses jambes n'ayant guère de place sous l'étoffe lourde et cintrée pour s'écarter. Elle appela certaines des filles et bientôt la chambre fut prête. On les fit monter sans payer, le Loup était bien connu ici. On savait qu'il payerait. Aussitôt arrivés il amena Clémente vers le paravent et l'enjoignit à se déshabiller et se plonger dans le bain. La laissant faire il alla chercher les habits propres et secs pour femme laissés sur le lit et les lui percha sur le dessus des panneaux de tissu fin. Lui-même se déshabilla rapidement, devant la cheminée, et mit leurs vêtements à sécher à proximité. Il frissonnait, nu devant la flambée. Il ne s'en était jusque là pas rendu compte mais cette satanée averse les avait détrempés et ils étaient vraiment frigorifiés.

Cachée derrière le paravent, Clémente s'était plongée dans le bain. Malgré la chaleur de l'eau, providentielle après l'orage, elle ne trouvait pas la sérénité. Et, même si imaginer que Luun était aussi nu qu'elle, à peine séparé par un ridicule paravent, lui faisait monter le rose aux joues, ce n'était pas là sa principale source d'inquiétude.

Comment avait-elle pu se retrouver dans pareille situation ? Nul doute qu'elle ne s'en sortirait pas facilement cette fois-ci. Elle tremblait presque... Il fallait qu'elle se ressaisisse, ne rien laisser paraître...

Laissant s'échapper un soupir, elle se fit glisser dans la baignoire jusqu'à ce que sa tête toute entière soit sous l'eau. Peut-être serait-ce plus simple de se noyer... Ainsi elle éviterait les questions importunes. Finalement, elle remonta à la surface, décidée à affronter le loup. Elle s'habilla, lentement, avec les vêtements trouvés par Luun. Par chance, ils étaient à sa taille, quoique il semblait manquer un peu de tissu...

Euh... Vous êtes visible ?

Aucune réponse. Aussi Clémente considéra t-elle qu'elle pouvait venir dans la pièce sans risque. Mal lui en prit quand elle constata que Luun était loin d'être visible ! Un cri de surprise franchit ses lèvres, tandis que ses joues s'empourpraient. Elle lui tourna alors le dos et bégaya :

"Euh... Pardon... Mais pourquoi... Habillez vous !"

Le Loup fut sorti de sa rêverie par la voix de Clémente. Visiblement elle était gênée de sa nudité. Il en sourit. C'était presque étonnant, enfin. Il prit une serviette et la passa à sa taille, cachant ainsi le minimum vital aux yeux de la française.

Et bien et bien! Que d'émotions pour n'avoir vu qu'un dos et à la rigueur un bout de fesses eheh. Tu peux te retourner va.

Luun s'était entre temps rapproché d'elle, si bien qu'en se retournant Clémente se retrouvera à moins d'un pas de lui, souriant mais encore à moitié nu.

Persuadée que le problème était résolu, Clémente se retourna vivement. Elle sursauta de se retrouver si proche du Loup. Irrésistiblement, son regard resta fixé quelques instants en direction de la serviette. Les joues rouges, elle releva la tête, comme une enfant prise en faute. Cette fois-ci, c'est vers le torse dénudé que son regard se perdit. Elle secoua la tête, et réussit à regarder Luun au niveau du visage, complètement cramoisie.

"Ils...Euh... Ils n'avaient plus rien à votre taille ?"

Le Loup, immanquablement, sourit à la phrase de Clémente, bien que son regard jusque là avait suffit à cela.

Je me séchais auprès du feu. C'est bien plus agréable.

Lui-même ne se gêna pas trop pour regarder le corps de Clémente, laissant même une main courir le long d'un de ses bras.

Le bain semble vous avoir fait du bien, mais... est-ce là une chair de poule? Peut-être avez-vous encore un peu froid?

Aussitôt le Loup franchit le faible espace les séparant et prit dans ses bras Clémente, ses mains frottant doucement son dos, son visage penché sur elle et laissant son souffle venir frôler sa joue.

"Euh... Non je n'ai pas..."

Clémente se retrouva soudainement dans les bras de Luun. Cet homme était fou.

"...froid."


La dame ne savait pas comment réagir à cette soudaine étreinte. Ils n'étaient pas intimes à ce qu'elle sache ! A moins que... Oh mon dieu... Elle repoussa doucement Luun, posant de ce fait ses mains à plat sur son torse nu, et recula en les retirant, comme si elle s'était brulée.

"Hum... Il va pleuvoir longtemps encore vous pensez ?"

Le Loup nota le moment de réflexion de Clémente. Ainsi elle semblait donc connaître son état. Les choses étaient complexes. A quel point avait-elle conscience de sa folie? L'entretenait-elle? En tout cas il la libéra doucement, souriant encore et alla s'asseoir devant la cheminée avant de lui répondre.

Je le crains oui. Au moins toute la nuit. Les pluies de ce genre ici sont faites pour durer. Au moins êtes-vous au sec ici, et en sécurité qui plus est. Cela doit vous changer des situations où vous avez le chic de vous empêtrer non? Profitez-en, prenez quelque repos et discutons donc un peu. Parlez-moi de vous voulez-vous? Nous n'avons guère eu l'occasion de pouvoir vraiment discourir ensemble.

Le Loup l'invitait à s'asseoir elle aussi, le feu les réchauffant dans une ambiance douce et feutrée.

Discuter ? Alors qu'il était en serviette ? Et comment voulait t-il qu'elle se concentre ? Grommelante, elle alla s'asseoir, et fixa son regard sur les flammes dans la cheminée.

Qu'est-ce que vous voulez savoir ? Il n'y a pas grand chose à dire. Je vais ci et là pour soigner ceux qui en ont besoin, comme vous le savez."